Enseigner dans
une classe avec des enfants surdoués : mes certitudes, mes doutes,
mes interrogations
par Florence Mainoldi
Enseignante en CM1 - CM2 à Sainte Marie Blancarde à
Marseille
Premier constat : j’ai dû changer ma
façon de travailler en différenciant ma pédagogie…
… Ni plus ni moins que pour les autres enfants qui ont aussi leur
spécificité. Cela étant dit, si la différenciation
est difficile et compliquée, c’est une pratique sur laquelle
je travaille depuis longtemps, dans laquelle je me suis largement investie
et que j’essaie de mettre en application.
Mais au-delà de la diversité des entrées pédagogiques
et didactiques, au-delà des variations dans les structures organisationnelles
de la classe, travailler avec les « zèbres* » demande,
en ce qui me concerne depuis 10 ans, une véritable réflexion
personnelle sur mes pratiques, mon savoir, ma relation au savoir en général,
et sa transmission.
Pour travailler avec ces enfants, j’ai dû accepter d’être
bousculée un peu plus dans mes pratiques (je l’étais
déjà avant), mes représentations, mes routines pédagogiques
et mes certitudes.
Deuxième constat : ces enfants ont d’abord besoin
de sens, de logique et de cohérence.
Non dociles par rapport aux tâches proposées, ils ont besoin
de savoir pourquoi ils font ce que je leur demande de faire et à
quoi cela pourra leur servir. Ils sont très réfractaires
aux activités répétitives qui pour eux sont dénuées
de sens puisqu’ils ont compris.
Si j’impose ou si j’exige sans logique ni cohérence,
je sais que je vais vers un conflit et surtout vers un refus du travail,
de réalisation.
Toute ma difficulté réside dans le fait qu’il va falloir
malgré tout exiger que les compétences attendues soient
développées.
Ce sont des enfants qui m’amènent très souvent au-delà
de ce que j’avais prévu dans une séance. Mais j’essaie
de répondre à leurs questions même si ce n’est
pas le moment ou qu’ils le feront plus tard dans les classes supérieures.
Et je suis bien consciente que leur avidité à comprendre
est épuisante et qu’ils m’épuisent !
Dans la même logique du sens, ils mettent souvent à l’épreuve
les limites que je peux instaurer afin de s’assurer de leur valeur.
Troisième constat : s’adapter et respecter leur rythme
d’apprentissage.
Ils ont compris bien souvent avant même que j’aie terminé.
Cela m’impose de n’être ni lente, ni répétitive,
ni parcellaire.
Surtout, que je ne leur donne pas davantage de la même chose. Mais
que je leur propose rapidement une activité complémentaire
ou que je leur permette de faire autre chose et parfois même de
ne rien faire, tout en étant vigilante et en me donnant les moyens
de vérifier qu’ils ont bien compris.
Une des plus grandes difficultés est de leur inculquer la notion
d’effort et de travail personnels pour ne pas leur laisser penser
qu’ils savent sans apprendre.
Quatrième constat : ne pas faire plus quantitativement
mais aller dans la complexité…
… quitte à dépasser de loin le programme de l’année
et accepter qu’ils aillent plus vite que moi dans les programmes
car ils anticipent sur les savoirs à construire.
Cinquième constat : leur besoin de faire plusieurs choses
à la fois.
Certains enfants surdoués ont besoin de faire plusieurs choses
à la fois et il n’est pas rare de les voir triturer, dessiner,
fabriquer, construire, voire lire en classe alors que je suis en train
de parler. Je sais que certains d’entre eux ont besoin de cette
poly-activité, qu’elle participe à leur attention.
C’est pourquoi je les laisse faire (pas tous), ce qui n’est
a priori, ni a fortiori, pas très courant dans une classe puisque
certains enseignants ne supportent pas quand un enfant ne semble pas attentif
et qu’il fait autre chose.
Sixième constat : ils sont des capteurs d’informations un
peu surprenants.
Ils vont repérer le moindre dysfonctionnement et je pense que dans
une journée de classe, dans une semaine de cours voire dans une
année d’étude, les enseignants en ont tous. Si je
donne aux enfants la possibilité de s’exprimer, si je ne
verrouille pas leur spontanéité, si je sais reconnaître
mes erreurs sans que mon « aura » d’enseignante qui
détient le savoir ne soit écorchée, alors la confiance
s’établit et mon travail peut modestement porter ses fruits.
Autres constats : une autre fois peut-être !!
Tout cela étant très personnellement dit, je sais aujourd’hui
que :
Je n’aurais pas pu travailler avec ces enfants sans faire l’économie
d’une réflexion personnelle sur mes propres pratiques.
Je n’aurais pas pu travailler avec ces enfants si je n’avais
pas été volontaire.
Je n’aurais pas pu travailler avec ces enfants sans l’équipe
qui m’entoure.
Je n’aurais pas pu travailler avec ces enfants si je n’avais
pas été prête à changer, à travailler
beaucoup, à douter parfois, à tâtonner souvent.
Mais que c’est fabuleux de travailler aussi avec eux.
* « zèbres » : appellation courante à l’école
Sainte Marie Blancarde pour les enfants surdoués.
Florence Mainoldi
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