Les tests dintelligence et la
mesure de lesprit
Par Jacques Lautrey (biographie en fin du texte)
Problématique : les tests permettant de mesurer la performance
de lesprit mesurent-ils lintelligence ?
Plan
1) Echelles de mesure du développement intellectuel (historique)
2) Une intelligence ou des intelligences multiples ?
3) Des performances aux processus (accès aux processus cognitifs)
Partie 1 : historique des tests
Binet et Simon répondent à une demande de la commission
Bourgeois en 1904 sur la mise à disposition de tests permettant
de repérer le retard mental.
En effet depuis la mise en place de lobligation scolaire, lEN
doit gérer des enfants retardés mentaux qui auparavant nétaient
pas envoyés à lécole. Il faut donc disposer
de moyens permettant de repérer les cas de retard mental de la
façon la plus objective possible.
En 1905 Binet met une 1ère échelle de test à
disposition de lEN.
Il a pu répondre rapidement à la demande du gouvernement
car il cherchait depuis une dizaine dannées à réaliser
ce type déchelle de mesure (article publié en 1895
sur les processus supérieurs du cerveau mémoire,
traitement, ...). Ceci représente une rupture avec son époque
car on ne mesurait alors que des sensations et pas des résultats.
Léchelle de Binet-Simon comporte des épreuves
de raisonnement et de jugement. Il cherche des épreuves réalisant
une bonne discrimination dans lâge des enfants.
Exemple : pour lépreuve de la gravure (une image à
décrire)
à 3 ans les enfants nomment les objets de limage
à 7 ans ils décrivent la situation des personnages
vers 14-15 ans ils produisent des interprétations sur la
situation
On obtient ainsi un ensemble dépreuves caractéristiques
dun âge mental : cest lâge auquel
la majorité des enfants réussissent lépreuve.
Il étalonne son échelle pour donner un âge mental
pour des enfants entre 3 et 15 ans.
Léchelle de Binet réalise un ordonnancement des tâches
par complexité cognitive.
La notion de QI est introduite par Stern en 1912 : QI = âge
mental / âge chronologique ( x 100 pour éliminer les décimales)
Léchelle de Binet Simon est adaptée aux USA
par Goddard et Terman sur la base dune relation entre la performance
et le retard ou la réussite scolaire.
D. Wechsler qui travaille en hôpital psychiatrique pour adultes
va adapter ces tests pour les adultes et crée en 1939 la 1ère
échelle pour adultes (WAIS).
On ne peut plus parler dâge mental puisque les capacités
cognitives plafonnent à lâge adulte. Il étalonne
son échelle en rang.
Le résultat dun test WAIS est un rang dans la distribution
de léchantillon de référence de lâge
considéré. Ce nest plus un quotient (même si
on parle de QI par assimilation avec les tests pour enfants).
Son apport est davoir formalisé loutil qui en
ordonnant les tâches a permis dordonner les sujets sur les
échelles de performances.
Il introduit également léchelle de performance constituée
de tests à consonance verbale limitée : le but est davoir
une évaluation des capacités pour des sujets en difficulté
verbale.
Le WISC (pour enfants) est créé en 1949 et le WPPSI
(pour jeunes enfants) en 1967.
On aboutit donc aux notions de QI verbal, QI performance, QI total.
A quelles conditions une épreuve est-elle un test ?
Il faut 4 conditions :
- standardisation : sa passation doit intervenir dans les mêmes
conditions et donner lieu au même résultat. Cela sobtient
par la standardisation des consignes de passations, des situations, des
cotations ...
étalonnage : sur un grand nombre de sujets et en respectant
la qualité de léchantillon de référence
fidélité : une mesure de corrélation entre
les résultats du test et les résultats dun test repassé
1 mois plus tard donnent une corrélation de .94 (plus le chiffre
est proche de 1, meilleure est la corrélation).
validité : la corrélation entre la mesure et la capacité
de ce qui est censé être mesuré est comprise entre
.50 et .70 pour les items du WISC.
__________________________________________________________________________________________
Partie 2 : approche factorielle de lintelligence
Wechsler met déjà en évidence deux composantes
de lintelligence, mesurée par les résultats en échelle
verbale et en échelle performance. La conception de lintelligence
sous forme monolithique nest donc pas valide.
Dès 1904, Spearman effectuait des recherches sur un facteur
général de lintelligence (donc en simultané
des recherches de Binet). Il y travaille sur des tests portant sur les
matières scolaires et effectue une analyse mathématique
des corrélations entre toutes les tâches des tests. La mise
en évidence de corrélations lui permet daffirmer lexistence
de deux facteurs :
- lun est un facteur général commun à toutes
les tâches,
lautre est un facteur spécifique à la tâche
effectuée.
En regardant les tâches 2 à 2, il établit une table
de corrélation et met en évidence les tâches les plus
" saturées " avec ce facteur général. Il
faut maintenant bâtir les test permettant de mesurer précisément
ce facteur général.
Thurstone en 1938 met en évidence environ une douzaine de
facteurs (aptitudes primaires) : compréhension verbale, fluidité
verbale, aptitude numérique, aptitude spatiale ...
Dans les années 50, un modèle tente dunifier
ces deux approches (Thurstone et Spearman) sous la forme dune approche
multifactorielle.
Les corrélations obtenues par Spearman sont considérées
comme des facteurs de 1er niveau et à leur tour corrélées
entre elles (analyse factorielle de 2nd niveau). Lanalyse de ces
corrélations met en évidence un facteur général.
On aboutit au modèle factoriel hiérarchique de lintelligence
.
Ce modèle est décrit par Caroll en 1993 sous la forme
dune vingtaine de facteurs primaires de 1er niveau et de 8 facteurs
de niveau 2 :
- intelligence fluide,
- intelligence cristallisée (langage, organisation des connaissances),
- mémoire,
- intelligence spatiale,
- récupération auditive,
- récupération en mémoire à long terme,
- rapidité cognitive,
- vitesse traitement.
Un facteur général est mis en évidence entre tous
ces facteurs dordre 2. Il apparaît que le plus fort poids
de de corrélation entre ce facteur général et les
facteurs de niveau 2 intervient sur lintelligence fluide. Lintelligence
fluide est donc très proche de lintelligence générale.
Plus on descend dans cette liste, moins le facteur est saturé en
facteur général dintelligence.
A partir de ce modèle multifactoriel hiérarchique,
on peut chercher à mesure plus précisément tel ou
tel facteur.
Une mesure de lintelligence fluide se fait avec les matrices de
Raven (suite de dessins à compléter logiquement).
Pour lintelligence cristallisée on utilise les items du BV16
(par exemple interprétation de la signification dun proverbe).
Lintelligence visio spatiale sera explorée à laide
du MPFB (reconstituer une figure à partir de ses morceaux).
__________________________________________________________________________________________
Partie 3 : comment peut-on avoir accès aux processus ayant abouti
à une performance donnée ?
Comment atteindre le processus cognitif et le mesurer ?
Dans les années 60, la psychologie cognitive réalise
des hypothèses sur les processus mentaux (modèle du traitement
de linformation). La mesure de temps de réponse, de temps
de réaction doit permettre dinférer sur les processus
mis en uvre pour réaliser le traitement.
Exemple : Shepard et Metzler en 1971 mettent en évidence
un processus de rotation mentale.
Le sujet doit indiquer si la figure présentée (volumes)
est identique à une figure type ou non, la figure présentée
ayant été lobjet dune rotation dun angle
qui saccroît. Il y a une correspondance linéaire entre
le temps de réponse et langle de rotation. Tout se passe
donc comme si le cerveau re-créait la rotation de lobjet
de référence pour ensuite le comparer à lobjet
présenté.
Lexpérience est passée sur 8 sujets : la fonction
est bien linéaire chez tous les sujets. Toutefois la pente en est
différente : différence defficience entre sujets (vitesses,
erreurs). Comment peut-on en déduire la performance des processus
élémentaires ? (en particulier pour rééduquer
au besoin).
Le modèle de traitement de linformation est utilisé
pour tenter dexpliquer les processus élémentaires
mis en uvre. La tâche est décomposée en processus
élémentaires puis des tests sont réalisés
qui mettent chacun en uvre tous les processus élémentaires
sauf un.
La différence entre le temps de réaction global (tous les
processus) et le temps de chaque épreuve spécifique (tous
les processus sauf un) permettra donc de mesurer la performance de chaque
processus élémentaire.
Il faut ensuite ordonner les sujets par efficience dans chaque processus
et réaliser la corrélation entre la réussite dans
le test complet et la réussite dans chaque composant.
Lapproche est très décevante : la corrélation
ne dépasse jamais .30 (moins de 10% de corrélation entre
les résultats !).
La performance de lépreuve complexe nest donc pas la
somme des performances des processus élémentaires.
Les modèles de traitement de linformation sont trop
simplistes par lhypothèse de la séquentialité
(addition des processus). Il y a interaction des processus entre eux et
parallélisme de traitement : il faut en arriver à un modèle
dynamique.
Il faut admettre les différences entre chaque sujet dans lexécution
dune même tâche et aboutir à la notion de stratégies
cognitives.
Exemple : Eme et Marquet (1999). Ils font verbaliser les sujets
sur les stratégies mises en uvre pour la reconnaissance dune
figure après rotation spatiale. Les sujets sont ensuite regroupés
par type de stratégies mises en uvre et lhypothèse
est vérifiée. Par exemple certains effectuent une rotation
dans leur esprit jusquà un certain angle puis ensuite réalise
une symétrie. Un autre groupe se sert dune reconnaissance
de la séquence des formes et neffectue absolument aucune
rotation, se contenant de rechercher lordre des formes pour donner
sa réponse (juste ou faux). Ce dernier groupe obtient les meilleurs
résultats (rapidité et indépendance par rapport à
la difficulté).
Cette expérience met en évidence des répertoires
de processus différents, substituables les uns aux autres pour
assurer une même performance. Doù dimportantes
différences individuelles qualitatives.
Il reste maintenant à explorer cette voie des stratégies
cognitives individuelles.
__________________________________________________________________________________________
Conclusion
La mesure de la performance a permis de mettre en évidence
des formes dintelligence différentes
Une même performance peut être obtenue avec des processus
différents.
Il reste à comprendre la dynamique du système et
à réaliser des modélisations sur la combinaison des
processus élémentaires.
Les questions (il y en a eu très peu car lexposé avait
démarré en retard)
Une préparation peut elle améliorer le résultat
dun test ?
- Le résultat du test nest que le point de départ
de la réflexion du psychologue sur la personne quil a en
face de lui.
- En moyenne les tests sont fidèles : le résultat varie
peu.
- Un test peut aussi servir à mesurer aussi des potentiels dynamiques
dapprentissage : on apprend au sujet à passer le test et
on mesure laccroissement de performance. Un sujet sans problème
aura des résultats similaires en classement par rang. Le retard
ou latteinte mental sera mis en évidence par la difficulté
dapprentissage.
Quid des joueurs déchecs et de leur intelligence ?
Un test mené sur la mémorisation des pièces sur léchiquier
a mis en évidence que les joueurs déchecs chevronnés
mémorisaient :
- un nombre important de pièces si placées en situation
logique (conforme aux règles du jeu) : plus dune
vingtaine (entre 5 et 7 pour le sujet ordinaire)
- le même nombre que le sujet normal (5 à 7) si ces pièces
sont placées aléatoirement.
Conclusions :
- les joueurs déchec mémorisent des séquences
de coups et non pas des positions.
- ils mémorisent comme un sujet normal. La seule différence
est dans lunité considérée : là où
le sujet aura une unité égale à une pièce,
le joueur chevronné utilisera une unité se composant déjà
de 4 ou 5 pièces. Il mémorisera 5 à 7 éléments
de cette unité de 4-5 pièces chacune. Doù sa
performance de mémorisation.
Biographie
Jacques LAUTREY est instituteur de formation, puis psychologue (par diplôme
de lInetop CNAM), docteur es lettres et sciences humaines
et professeur à lUniversité Paris V, responsable de
léquipe " cognition et différenciation "
depuis 1996. Depuis 1999 il est expert auprès de la direction scientifique
du ministère de lEN.
Publications
- 1995 : avec E. Loarer, D Chartier, M Huteau Peut-on éduquer
lintelligence ? Evaluation dune méthode (Berne
: Lang)
- 1998 : avec M. Huteau Les tests dintelligence (éditions
la Découverte)
- 1999 : avec M. Huteau Evaluer lintelligence psychométrie
cognitive (PUF)
Liens
Pour voir la conférence en différé, obtenir
le programme des prochaines conférences
: (canal U)
http://www.cerimes.education.fr/flash.htm
Le programme des conférences, les biographies des conférenciers
:
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3328--228735-,00.html
Les conférences sont diffusées le vendredi de la
semaine suivante sur France Culture (très tôt le matin)
Environ 1 fois par mois, un dossier est publié dans Le Monde.
|